Il fut un temps où vous manifestiez contre le nucléaire devant les portes de la centrale de Doel. Entre-temps, vous êtes persuadé que l’énergie nucléaire mérite une place dans le mix énergétique. Quelle volte-face ! Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
Bart Coenen: Présenté sous cet angle, il est vrai que cela apparaît comme un changement de cap radical. Cependant, cette évolution a été progressive. Au fil des années, j’ai changé d’avis petit à petit. J’ai longtemps fait partie de ce que j’appelle le mouvement « vert foncé ». L’année 2008 a été un tournant pour moi. Je commençais en effet à me poser toujours plus de questions et à m’intéresser au le changement climatique. La résolution de l’équation énergétique est purement mathématique. Si vous ne prenez que les chiffres et que vous voulez une énergie à la fois propre et abordable, vous devrez intégrer l’énergie nucléaire au mix énergétique. J’ai dès lors osé crier haut et fort cette position. Les centrales nucléaires produisent une électricité pauvre en carbone. Leur fermeture entraînera irrémédiablement une augmentation des émissions de CO2, avec toutes les conséquences environnementales que l’on connaît...

Pourquoi croyez-vous si fort en l’énergie nucléaire ?
Bart Coenen: D’aucuns osent prétendre que nous pouvons atteindre 100 % de courant vert. Cependant cette électricité verte est aussi produite avec beaucoup de biomasse dont l’utilisation émet de grandes quantités de CO2. Pour faire passer plus facilement la pilule, on oublie souvent de mentionner cette donne… Si vous voulez vraiment faire quelque chose pour résoudre le problème climatique et les grandes quantités d’émissions de CO2, vous devez bien évidemment commencer par fermer les centrales au charbon et au gaz, et ensuite commencer à envisager le démantèlement des centrales nucléaires. Pour le moment, nous ne pouvons pas en sortir avec les seules énergies renouvelables et nous avons donc vraiment besoin de l’énergie nucléaire.

Pourquoi avons-nous besoin de l’énergie nucléaire dans le mix énergétique ?
Bart Coenen: Vous avez évidemment les aspects climatiques, mais, selon moi, un autre élément est aussi déterminant : le fait de disposer d’une électricité abordable. L’avantage de l’énergie nucléaire dans ce domaine est de pouvoir fixer à long terme le prix de l’électricité. Ajoutons-y encore la sécurité de l’approvisionnement. Notons à ce propos qu’il n’y a pas toujours de vent et que le soleil ne brille pas en permanence. Les centrales nucléaires assurent un approvisionnement suffisant issu d’une source pauvre en carbone. De cette manière, l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables sont complémentaires.

Quelle a été la réaction de votre entourage à votre volte-face, vos ex-collègues vous ont-ils rejeté ?
Bart Coenen: Non, je n’ai pas été rejeté pour mon avis sur l’énergie nucléaire. En réalité, la plupart des gens ne se soucient pas du débat sur l’énergie tant que leur facture n’explose pas… Si vous vous donnez la peine de voir le problème dans sa globalité, et êtes prêt à mettre de côté vos préjugés, vous êtes à même de comprendre le changement de ma perception. En tant qu’écomoderniste, je suis en faveur de l’innovation dans l’agriculture et l’énergie.

Pourquoi une majorité d’observateurs sont-ils si sceptiques à l’idée d’utiliser l’énergie nucléaire si les avantages sont si évidents ?
Bart Coenen: Un grand groupe de personnes n’approfondissent pas le sujet, d'autres adhèrent sans réfléchir aux arguments et demi-vérités d’autres personnes, sans oublier les clichés récurrents : l’énergie nucléaire n’est pas sûre et il n’y a pas de solution pour les déchets nucléaires.

On ne peut pas leur donner tort sur ce dernier point…
Bart Coenen: C’est vrai qu’ils existent, mais je vois trois éléments qui sont toujours oubliés. Primo : le problème se résout de lui-même au fil du temps, car les déchets fortement radioactifs le sont nettement moins après un certain temps et perdent leur radioactivité à terme. Secundo : différents pays planchent sur une solution au problème du stockage définitif des déchets radioactifs. Les Finlandais proposent les solutions les plus évoluées dans ce domaine. Dès qu’ils lanceront la solution proposée, je pense que la plus grande partie de l’opposition disparaîtra. La quantité de déchets nucléaires dont nous disposons est tout à fait gérable. Tertio : dans certains types de centrales nucléaires, les déchets sont recyclés et réutilisés comme combustible. Je considère donc qu’il n’y a quasiment pas de problèmes avec les déchets. Pour ce qui est de la sûreté, je m’attache à expliquer aux gens qu’on ne peut pas comparer Tchernobyl ou Fukushima à nos centrales nucléaires. Tchernobyl a été une faute des autorités soviétiques. Fukushima est un accident nucléaire grave à la suite d’un tsunami. J’estime donc que les craintes sont exagérées. Je ne sais que trop bien qu’on décrit parfois les choses sous un jour nettement plus sombre qu’il ne l’est vraiment, délibérément. En effet, rien de tel que la peur pour fédérer !

Comment voyez-vous l’avenir de l’énergie dans les cinquante prochaines années ? Quel serait pour vous le scénario de rêve ?
Bart Coenen: Mon scénario de rêve est de pouvoir assurer un approvisionnement énergétique pour le monde entier à la fois abordable et durable. L’énergie pour tous, de telle sorte que tous les pays puissent concrétiser leurs ambitions climatiques et énergétiques. Cependant, la réalité sera peut-être différente. Je n’exclus pas la construction de nouvelles centrales nucléaires. De nouveaux types de centrales… L’avancée viendra peut-être des centrales au thorium. Dans ces centrales, le thorium remplace l’uranium. Disponible en grande quantité, le thorium sera une source d’énergie inépuisable et très bon marché. Une autre possibilité est la concrétisation de la fusion nucléaire. Je fais pleinement confiance à la science. Mais il se peut aussi qu’une percée décisive de l’éolien ou du solaire intervienne et que nous n’ayons plus besoin de l’énergie nucléaire dans les 50 prochaines années. Mais attention… ne nous emballons pas ! Nous ne sommes pas encore à ce stade et, pour le moment, nous avons vraiment besoin à la fois de l’énergie renouvelable et de l’énergie nucléaire.

Selon vous, quelles orientations la Belgique doit-elle choisir ?
Bart Coenen: Nous devons examiner comment nous pouvons encore maintenir nos centrales nucléaires ouvertes. Si nous les fermons, nous serons très dépendants de l’étranger. Je pense aussi que nous devrions examiner s’il ne serait pas raisonnable de construire de nouvelles centrales nucléaires.

Je suppose que jouer à l’avocat de l’énergie nucléaire est un rôle ingrat...
Bart Coenen: Les débuts furent difficiles… Cependant, à la lecture de certaines réactions sur l’énergie nucléaire publiées dans la presse, je remarque qu’il y a pas mal de monde qui réagit positivement. Un grand nombre de personnes n’osent ou ne peuvent pas donner un avis favorable. Vous êtes très rapidement mis à l’index par les organisations écologistes. Le débat sociétal sur l’énergie (nucléaire) s’est totalement polarisé. Aujourd’hui, il est politiquement correct de ne parler que des désavantages de l’énergie nucléaire. Les avantages sont passés sous silence. Dès le moment où vous présentez l’ensemble des éléments, avec les avantages et les inconvénients, et que vous donnez la parole aux chiffres, vous sortez du politiquement correct. C’est la raison pour laquelle il est important que des gens comme moi prennent la parole et osent appeler un chat un chat. Même si cela peut paraître étrange pour certains, il n’est pas possible de nier les faits. Si nous voulons limiter nos émissions de CO2, nous ne pouvons pas arrêter l’énergie nucléaire. Si nous osions dire les choses telles quelles sont, comme je le fais, je suis persuadé que bien d’autres personnes se rallieraient à mon avis.

C’est cela votre moteur ?
Bart Coenen: C’est qui me donne de l’énergie ! J’ai perdu un certain nombre d’amis, mais les vrais amis ne vous laissent pas tomber parce que vous avez changé d’avis. J’ai remarqué qu’il est préférable de travailler sur un nouveau mouvement.

Comment essayez-vous de gagner le public à la cause de l’énergie nucléaire ?
Bart Coenen: Les augmentations de prix font déjà beaucoup… S’il est vrai que c’est une motivation négative, il n’en reste pas moins que le coût est un élément décisif pour le public. Surtout, s’il risque de dépasser leurs capacités financières. D’autres personnes sont motivées par la crainte du changement climatique et savent que nous avons besoin de sources d’énergie pauvre en carbone. Et puis, il y a aussi les ingénieurs qui examinent la réalité physique des choses. Il y a différentes manières de convaincre le public. Imaginez la scène : les centrales nucléaires ferment et les coupures de courant se multiplient...

Ce longread est issu de la collaboration de BrandTales, le département ‘branded content’ de De Persgroep Advertising, et du Forum Nucléaire belge et ne tombe pas sous la responsabilité de la rédaction.